Arno Calleja – Un titre simple

Une simplicité sans fin

Arno Calleja – Un titre simple [Éditions Vanloo, 2019]

Article écrit pour Le Matricule des anges




 

Cacher, si l’on peut dire, un recueil de poésie derrière un titre aussi simple qu’Un titre simple ne saurait être une opération aussi simple qu’elle en a – justement – l’air. Ce titre en forme de pied de nez ou de pas de côté, comme s’il occupait l’espace d’un titre en devenir constant plutôt que titre à venir (puisque déjà présent dans son absence suggestive), semble vouloir nous dire qu’au-delà de son apparente neutralité – une neutralité faussement programmatique dont l’auteur ne cesse de jouer – c’est bien à nous, lecteurs, qu’il revient de l’investir. D’autant que les choses se compliquent dès le sous-titre : Journal.   

Un journal, dont la nature subjective est une évidence, ne saurait être neutre. Il y a donc tromperie sur la marchandise, ou plus exactement une annonce de la nature caméléonne de l’entreprise. La question du genre, en tout cas, ne cesse de se poser : poèmes sans vers, méditations en prose, notes quotidiennes d’un quotidien aussi anonyme que secoué, confessions inavouables d’un homme, d’une femme ? Tout cela, certainement, comme fondu dans un tout organique. Et puis ce « je », qui ne cesse de bouger, qui est là, ne l’est plus, qui revient et repart, est-il lyrique ou idiot (d’une idiotie magnifique, celle du premier jour et du premier poème) ? Il passe en tout cas sans heurt du général (de la tectonique des plaques, de la voie lactée) au particulier (aux sécrétions, aux misères et à la beauté, même baveuse). « Il y a beaucoup d’éléments au programme. / C’est très infini. / J’aime m’appliquer », peut-on lire à la fin d’un poème où le « je » en question avoue qu’il « aime assez le côté pervers de rester devant des rideaux tirés ». D’ailleurs, il « [s]’impose des petits scénarios de perversion personnelle ».

Arno Calleja, c’est entendu, prend la poésie par les cornes mais ne se livre pas pour autant à un pugilat, ce n’est pas son genre. Il y a au contraire, dans l’évidence de son écriture aussi subtile qu’elle semble jetée sur la page (une sophistication en creux, qui ne roule pas des mécaniques, préférant une certaine oralité, un rythme hypnotique), une grande douceur. Pourtant, ça remue, c’est vache et délicat, ça appelle un chat un chat et une foirade une illumination, ça « avance au balancement du pas dans les feuilles entre le coulement rouge et blanc des pensées », il s’agit de « soutirer du réel une joie calme », pour des gens « purs de tout attribut ». Il s’agit bien, encore, d’un regret des premières fois (« Je voudrais qu’il y ait une première fois, n’importe laquelle »), « une première coupe de cheveux ratée » par exemple. Hélas, maintenant que tout n’est plus que répétition, « il va falloir se faire un corps neuf », pour pouvoir, qui sait, « rembobiner ». La poésie, c’est vieux comme le monde et, comme le monde, « ce n’est pas une règle commune, c’est un fait ». Et, puisque « la pensée n’est pas une discipline », « le poème se fait tout seul, personne ne l’écrit, il passe ».

Au fond (et aussi en surface, celle de la voix qui dit, sereinement, puisqu’Arno Calleja aime lire en public), ce titre « simple » semble renfermer, en catalogue désordonné mais raisonné dans sa déraison (le plus impeccable des réalismes), en encyclopédie par la bande, en listes incomplètes (« Douze choses que j’aime » ; « Six phrases »), en « scènes », la complexité du monde, des sensations. Et celle des sentiments, ce mot fatigué qu’on se risque encore à prononcer (sentiments dont on peut se vider « en vivant comme un animal »). « Une chose sort du grand bordel majuscule et on la voit, elle sort simple et une et on la voit la plus belle chose au monde ». Car la tâche de la poésie, celle du moins de cette poésie première dans sa langue presque enfantine (perverse et désirante), la tâche de cette poésie qui parle à la matière – terreuse ou fécale –, de cette poésie intensément belle, onirique et drôle, c’est de dire ce que l’on voit, ce qui est là, à l’intérieur et à l’extérieur. Car « on ne peut pas s’en empêcher », et de cette fatalité, cette libération, elle tire sa puissance.

 

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