David Turgeon - La revanche de l’écrivaine fantôme
Le labyrinthe aux tiroirs qui se plient et redéplient
***
David Turgeon - La revanche de l’écrivaine fantôme [Le Quartanier, Montréal, 2014]
Habile texte à tiroir dont la langue simple, élégante et pourtant subtile appelle à ce qu’on le lise d’une traite, La revanche de l’écrivaine fantôme, troisième roman du québécois David Turgeon, tout récemment publié par les fort recommandables éditions montréalaises Le Quartanier (qui ne jouissent pas, hélas, d’une très bonne distribution en France - on peut néanmoins commander les livres ici), est un de ces exercices à l’équilibre précaire qui ne tiennent – et d’autant mieux peut-être - que par une certaine légèreté, une grâce évanescente qui finit inévitablement par en devenir la raison d’être.
En d’autre termes et pour faire court : voici un château de carte qui a plus de raisons de s’effondrer que de tenir debout. Et pourtant, il tient ; quand bien même, durant notre lecture, nous crûmes le voir s’effondrer plus d’une fois. Mais cette surprenante résistance - qui évoque un peu celle du jonc qui ploie mais refuse, têtu, de se briser - s’explique en bonne partie parce que cette histoire d’effondrement se trouve au cœur même du texte ; c’est elle qui y palpite pour ainsi dire. À moins qu’il ne s’agisse d’un exercice de résurrections successives. Un jonc qui ploierait, se briserait et se redéploierait. Un mouvement perpétuel. Un certain nombre d’histoires en tout cas ne cessent de s’y tisser et de s’y détisser.
La revanche de l’écrivaine fantôme sera donc, d’évidence, un texte auto-réflexif qui à l’instar de tout bon roman (qu’il soit auto-réflexif ou pas) envisage d’avance l’éventualité - pour ne pas dire la garantie - de son propre échec. Sauf qu’ici, puisque de résurrections il s’agit, l’échec n’est pas un résultat inamovible mais un état constant et mobile qui – nous le disions - palpite.
Comme son titre (à la bonne vieille odeur de séries b, de romans feuilletons, de comics aux couleurs qui bavent un peu sur les bords) nous l’indique, il s’agit également, voire surtout, d’un texte ludique. Ce qui n’empêche nullement, n’allez pas croire, que la surface ne s’y fasse pas plus profonde qu’elle n’en a l’air, ni ne lui retire bien évidemment le droit d’être ambitieux (et en 160 pages seulement, mesdames, comme quoi…).
Il y sera donc question (on s’y attendait) d’écrivains, l’un pouvant être le personnage de l’autre, mais aussi le nègre de l’autre, voire plagier l'autre. Il y sera encore question de plusieurs romans comme autant de mises en scènes qui à un moment ou à un autre finissent par s’imbriquer. On y croisera aussi une lectrice et un dessinateur de bandes-dessinés (à qui il arrive - surprise ! - d'écrire) qui parmi tout ces plumitifs pourrait bien s’avérer le double de l’auteur du livre puisque celui-ci est effectivement dessinateur de ce qu’on appelait encore il n’y a pas si longtemps des « petits mickeys » (et exégète de la chose visiblement, pour preuve cette longue analyse de l’œuvre de l’un des joyaux injustement oubliés de l’âge d’or de la bd franco-belge, Raymond Macherot, que l’on dénichera sur son blog).
Tout commence dans un train qui très vite déraille. Le roman, à sa manière, également. Il semble que cela soit dû (nous parlons du déraillement du train) à l’attaque en piqué d’une incertaine flotte d’aviation, une attaque certainement spectaculaire si toutefois l’auteur voulait bien prendre la peine de nous la décrire en détails et de nous en donner les raisons – ce qu’il ne fera pas.
Dès lors, ce début sur les chapeaux de roue, plutôt que de laisser la place à l’intense roman d’aventures que l’on était en droit d’attendre, se transforme bien vite en un jeu de poupées russes où il ne se passe pour tout dire pas grand-chose. Ou alors si ?
Il y est en tout cas question d’une île déserte ; d’un exode massif et des subséquents villages abandonnés ; d’une géographie en mutation ; etc. Bref, tout un tas d’éléments qui feraient le bonheur de n’importe qui. Mais David Turgeon, visiblement, n’a pas envie d’être n’importe qui (ni de faire n’importe quoi) et plutôt que de nous donner plus de détail sur cette affaire préfère nous embarquer dans un exercice de réinvention permanente de l'histoire (des histoires) ; celle que l’auteur invente à sa lectrice, tous les deux coincés sur une île déserte, puis dans une chambre d’hôtel, puis allez savoir où encore ; celle que le personnage du récit de l’auteur réinvente, en sa qualité de nègre – pardon, d’auteure fantôme – ; celle que cette dernière aurait plagiée ou plutôt rescapée des restes en creux des « intrigues » sibyllines des romans d’un autre écrivain imaginaire (à moins que ce ne soit lui qui les lui ait envoyé anonymement) ; etc.
Nous parlions plus haut d’exercice en équilibre instable ou précaire, mais ce n’est pas tant à la structure auto-inclusive du roman que nous pensions (qui se tient, croyez moi, et très bien), qu’à cette façon qu’il a de frôler en permanence le cliché vaguement borgésien, la création d’écrivains imaginaires qui pourraient à la première inattention venue ressembler d’un peu trop près au personnage « écrivain imaginaire » tel que l’ont déjà canonisés mille et un romans faisant de l’écriture de roman leur sujet. Et pourtant, non. La revanche de l’écrivaine fantôme est un texte d’une étonnante fraicheur.
À quoi cela tient ? Question difficile. À la finesse du style, à la sensibilité du regard, que sais-je, je pourrais continuer à tisser ce genre de banalités d’un air pénétré (banalités qui dans le cas de ce texte n’en sont pas moins vrais, mais là n’est pas la question). Non. Cela tient avant tout à l’intelligence de son auteur, qui d’évidence sait très bien que le cliché n’est jamais loin, mais qui plutôt que de prétendre l’éviter par quelques opérations vaines et inutilement compliqués, choisit simplement de ne pas en faire toute une affaire, de s’en moquer ou de faire comme s’il s’en moquait. C’est que tout au long du texte règne une ironie douce, non affétée, qui ne cherche jamais à se faire plus intelligente qu’elle ne l’est, et qui du coup le devient d'autant plus. Comme si l’auteur ne cherchait pas à écrire autre chose qu’un divertimento. Peut-être est-ce justement en cela qu’il réussit son coup. Derrière cette apparente frivolité, il sait offrir de belles pépites. Et puis de toute façon, la frivolité n’est pas forcément un critère négatif, elle peut même s’avérer très productive. Nous irons d'ailleurs et dès que possible fatiguer les autres publications de l'auteur.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
-
Vies de cinéma Dans un premier recueil de nouvelles subtil et enlevé, François Souvay invente une histoire parallèle du septième art qui n...
-
À propos de Los sinsabores del verdadero policia , de Roberto Bolaño [Anagrama 2011] Alors qu’est enfin publiée en français l’excellen...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire