Mario Bellatin - Sur les plages de Montauk les mouches pullulent
L’invention permanente d’une invention
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Mario Bellatin - Sur les plages de Montauk les mouches pullulent
[Traduit de l’espagnol (Mexique) par Alexis Dedieu - L’atelier du Tilde, 2014]
Article écrit pour Le Matricule des anges
« C’est à ce moment-là que je décidai de m’inventer comme écrivain », peut-on lire au détour d’une des pages de Sur les plages de Montauk les mouches pullulent, la plus récente traduction française d’un des écrivains les plus prolifique et provocateurs des lettres hispanophones contemporaines.
L’affirmation se lit dans un des courts paragraphes qui composent de manière faussement hasardeuse l’ouvrage et qui telles de petites cellules s’enchainent en une combinatoire de plus en plus vertigineuse. Sans doute est-on en droit d’y lire une définition de la poétique à l’œuvre chez Mario Bellatin. Il semble en effet que chacun de ses textes ne vise à autre chose qu’à cette invention de soi en tant qu’« écrivain », la construction obstinée d’un mythe personnel qui tiendrait plus de Duchamp que du socle de marbre. La littérature ici sera donc autoréflexive ou ne sera pas (d’où les guillemets), mais elle ne s’en drape pas moins des atours d’une supposée objectivité que le texte, avec des airs de ne pas y toucher, ne cesse de démentir. Car derrière l’apparente froideur du style – comme s’il n’y avait paradoxalement pas d’auteur là où le seul but est l’affirmation d’un auteur, fût-il apocryphe – c’est son exact opposé qui s’infiltre : l’humour (duchampien, disions-nous : la froideur du style comme si la langue était un ready made).
Bellatin n’a de cesse que de battre en brèche la pseudo-solennité de son discours par l’absurde, appelants à chaque détour de phrase un conflit entre le sérieux ( le spectre de la mort, qui hante le(s) récit(s), incarné par le souvenir de la chute mortelle – ou du suicide – de l’écrivain tchèque Bohumil Hrabal) et une volonté de le rabaisser à une forme de quotidienneté voire de banalité pince sans rire : “Dommage qu’un moment que l’on puisse considérer comme sublime (…) soit représenté par une femme quelconque portant dans ses bras un teckel au milieu d’une place reconstruite de la pire des façons qui soit”.
La place en question n’est autre que l’Alexanderplatz, et c’est avec elle que s’initie le grand bal des inclusions. Emportés par une combinatoire qui règne en maître absolu, personnages et lieux se confondent au fil d’un texte qui ne saurait dès lors qu’obéir à la loi implacable de ses caprices les plus échevelés, caprices qui sont ceux, bien évidemment, de l’auteur. Et qu’importe si celui-ci n’a de cesse que de jouer à cache-cache et de brandir l’arbitraire assumé, voire transcendé, de son puzzle comme un masque en perpétuel mouvement (le mythe de l’auteur toujours plongé dans la contemplation de sa propre invention).
Tout, ici, est jeu d’inclusion : Berlin est la plage de Montauk, qui est un parc à Mexico, qui est aussi l’appartement du narrateur (quelqu’un qui est et n’est pas un Bellatin qui nous glisse entre les doigts). Et que dire de ce groupe d’oiseaux de proies que le narrateur (sous l’influence frelatée du LSD) écoute ou croit écouter discourir sur la dialectique de l’esclave prêt à dévorer le maître ? Le texte lui-même passe son temps à jouer de son propre artifice et de son propre mensonge (« écrire le détournait du fait d’écrire », lit-on quelque part), et l’on ne sait plus très bien quel est ce texte que l’on lit (un douteux manuscrit posthume de Bohumil Hrabal ? ; un impossible exercice d’équilibriste ? ; une blague ?). L’incessant mélange des cartes – comment faire autrement – en fini par ressembler à une récapitulation de ses propres éléments, et les comptes n’y sont pas forcements bons.
Chez Bellatin, mythe personnel et procédé littéraire se confondent jusqu’à ne faire qu’un. Sa littérature n’a d’autre but que de décontenancer son lecteur, et par là de le provoquer, d’en faire, d’une façon ou d’une autre (inconfortable peut-être) un complice, que cela lui plaise ou non. Le type de lecteurs actifs qu’un Cortázar, à une autre époque et pour des raisons aujourd’hui discutables, appelait quelque peu naïvement de ses vœux semble en lisant Bellatin aller de soi. C’est une littérature qui s’affranchit de tout, sauf de cela, le plus important sans doute : créer ses propres lecteurs (et qui, une fois ceux-ci crées, a le toupet de s’en moquer éperdument).
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