Punks, ronds-points et autres considérations languedociennes

À propos de Brûlons tous ces punks pour l'amour des elfes et de L'attaque des dauphins tueurs de Julien Campredon [Monsieur Toussaint Louverture, 2011]




Hier matin, alors que j’inspectais avec la diligence qui m’est coutumière la boîte aux lettres de la rédaction de ce blog, sise à La Défense dans une bien belle tour toute de verre vêtue, je suis tombé sur un courrier qui manifestement ne m’était pas destiné. Après inspection (c’est-à-dire après l’avoir ouvert, que l’on me pardonne l’indiscrétion), j’ai pu en déduire que ladite missive, postée depuis un trou perdu du Languedoc-Roussillon, était en fait destiné au jeune écrivain Julien Campredon. Naturellement, j’ai tout tenté pour me mettre en lien avec le destinataire réel de cette enveloppe, mais, malgré mes efforts, cela s’est avérée peine perdue. Les bureaux de sa maison d’édition sont restés injoignables (un ami m’apprend qu’ils se sont expatriés, pour quelques mystérieuses raisons, aux îles Caïman), tandis que l’auteur, victime de son succès auprès de la gente féminine et des clubs de lecture du troisième age, a choisis de disparaître pour pouvoir se consacrer à son œuvre, loin des mirages médiatique provoqués par le succès, décision qui d’évidence est toute à son honneur.
En désespoir de cause, j’ai décidé de publier la lettre in extenso sur ce blog, en espérant que peut-être, du fond de sa retraite obscure, notre auteur nous lise.
La voici :



« Cher Monsieur Campredon,

Permettez-moi avant toute chose de me présenter : Maître Augustin François Bernard Villavèche, juriste retraité, philatéliste occasionnel, lutineur nostalgique de jeunes filles en fleur, amateur de bonne chère et érudit.
Si je me permets en ce jour de vous écrire, mon cher Campredon, c’est tout simplement parce qu’un malheureux concours de circonstance m’a mis entre les mains un exemplaire de votre livre, celui qui porte le fort disgracieux titre suivant : « Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes ». Je me dois d’admettre qu’il s’en est fallu de peu pour que ledit opuscule, en vertu d’un sens esthétique bien compréhensible et qui chez moi est inné, ne finisse illico et comme on dit presto sa courte carrière à la poubelle. J’avais d’ailleurs en ce sens hélé mon majordome afin qu’il prenne les mesures nécessaires, quand, je ne saurais dire exactement pourquoi, quelque chose a retenu mon attention. Il ne s’agissait pas, surtout pas, et n’allez pas croire, de l’atroce couleur bleu irritante à l’œil qu’arbore ostensiblement avec - reconnaissons-le - autant de vigueur que de mauvais goût le rabat en papier glacé encouvrant maladroitement votre insane petite publication, non il ne s’agissait assurément point de cela, d’autant qu’à mon age, vous savez, nous avons depuis longtemps compris que tous ce qui brille ne saurait être rien d’autre que le maladroit piège des âmes crédules, non, ce qui a, disais-je, retenu in extremis mon attention, ce n’est nullement votre rabat hideux et prétendument ingénieux, non, c’est tout simplement la présence du mot « elfe » qui, venant inopinément conclure le titre disgracieux de votre gribouillis balourd, a provoqué en moi je ne sais quelle réaction inattendue, quelque souvenir de lecture enfantine ou de conte au coin du feu, allez savoir.

Entre temps, j’avais donc hélas - avec l’impatiente de l’homme d’action que j’ai toujours été, y compris maintenant où à la fleur de l’age je goûte enfin le repos que mes années de labeur au service de la communauté m’autorise – j’avais, disais-je, déjà signifié à André mon fidèle majordome de s’approcher. Mon plan ayant désormais bifurqué, je ne pouvais cependant, on en conviendra aisément, admettre mon inconstance face à mon plus fidèle auxiliaire, auxiliaire auprès duquel j’avais toujours fait montre de la plus grande fermeté d’esprit à l’heure de prendre une décision, fut-elle des plus courantes, balayant d’un revers de main agile l’hideux spectre de l’hésitation et celui, à y être, de son non moins déplaisant compagnon, la contradiction. Ainsi, je lui ordonnais, histoire de justifier mon appel et de ne pas passer pour un étourdi, de m’apporter sans délai un verre d’un de ces vieux whiskys dont les écossais possède depuis plusieurs siècle l’immarcescible secret. Dans de telle condition, confortablement installé dans mon meilleur fauteuil, un verre d’excellent whisky a porté de main, sans oublier mon coffret de cigare importé directement de cuba, je n’eus point d’autre recours que de lire votre recueil d’insanité.

Il s’est alors passé, à ma grande honte, et j’en rougie encore, un événement for surprenant, que je me dois de vous conter : mon noble visage qui à l’ordinaire n’arbore pour tout rictus que celui d’une efficiente moustache au galbe parfait, se trouva à plusieurs reprises secoué mécaniquement et ce particulièrement au niveau de la mâchoire par une sorte d’incontrôlable et itérative trépidation accompagnée d’une série de sons provenant indéniablement de ma gorge. Allant à l’encontre de plus d’une décennie d’habitudes fermement ancrés dans une ferme posture qui est celle de ma permanente condition d’homme de loi, il me fallait admettre douloureusement le fait accompli : j’avais ri ! En lisant le tissu d’inepties capilotracté qui semble tenir lieu de colonne vertébrale à vos récits idiots, et bien j’avais été pris – moi ! - d’un irrépressible fou rire. Fâcheuse situation, vous en conviendrez. Et pourtant, me disais-je, méditant sur l’incident, et pourtant, n’était ce pas-là un moment agréable que celui qui m’avait été donné de vivre ? Si le rire est le propre de l’homme, ais-je donc été toute ma vie une bête moi qui jusqu’ici n’avais jamais ri ? Ridicule. Je balayais prestement ces objections d’un revers de main véloce et décidé. Et pourtant, derechef, et pourtant … Ce rire soudain et frénétique qu’était-ce donc, sinon celui de ma jeunesse retrouvée ? Ah, nostalgie des heures passé, rêvant, encore enfant dans les rues nîmoises – car oui, je suis un languedocien fier de sa ligné – ou dans notre maison de Salinelle, noble et pittoresque village rue qui, posé béatement non loin de l’impétueux court du Vidourle et à quelques encablures seulement de la prestigieuse cité romaine de Sommières, m’a vu naître il y’a de cela déjà quelques lustres.

Votre livre, mon cher Campredon, admettons-le une bonne fois et par où qu’on le prenne – y compris d’un bout de doigt dégoûté - n’est qu’un vil amas d’âneries sans nom. Il n’empêche, nonobstant, qu’au-delà de la bêtise crasse qu’il suppure à grands flots, il semble receler quelques vertus que j’ai su – bien malgré moi, je l’admet volontiers – saisir au vol.
La première naturellement, vous l’aurez compris, est l’élection approprié d’un territoire si souvent méprisé par une élite parisienne trop sur d’elle, je parle bien évidemment de notre merveilleux Languedoc, que j’ai pu sentir, malgré de pesantes couches de vulgarités, palpiter dans les recoins de vos écrits mal fichus. Ah ! Carcassonne, et ses remparts, ah ! Sète son port et ses tielles, ah ! Nîmes, ses arènes et son Pierre Ménard, ah Montpellier, son centre piéton et son centre commercial, ah ! Toulouse, son rose et son rose, ah ! cher Languedoc, chères Cévennes, terre de mon enfance, terre de ma vie ! J’en aurais presque les larmes aux yeux, tremblant d’une saine nostalgie. L’accueillant café que nous allons boire assis à l’une des riantes terrasses de la place aux herbes à Nîmes, ou de celle de la préfecture à Montpellier, n’est-il pas dix fois, mille fois plus savoureux que celui, infect, qu’il nous sera donné de boire à un prix astronomique dans n’importe quel gourbi prétentieux de St Germain des Prés, où pourtant viennent se pavaner tous nos soi-disant grand écrivains, qui jamais – jamais ! – n’ont un mot dans leurs ouvrages assommant pour notre si bel et si doux Languedoc.
Il m’en coûte, sachez qu’il m’en coûte, mais je ne peux me voiler la face plus longtemps : vous au moins mon cher Campredon, même si vos écrits sont le plus souvent consternants, vous au moins avez su rendre à notre noble région la place qui lui est due : la plus haute ! Je sens d’autre part, confusément, caché parmi les épaisses broussailles de vos productions exagérément débridées et prétendument inventives, la conscience douloureuse de celui qui ne peut que contempler, rongé par l’amertume et le désenchantement, un monde qui nous est cher s’en aller à vaut l’eau sous les - je vous cite - « coulés de bétons infernales » et autres ronds-points qui, en grappes méphitiques, viennent pourrir l’autrefois fluide cour de notre chère nationale 113.

Car oui, notre cher Sud, notre cher Languedoc - que certains ânes bâtés prétendument expert en « marketing » veulent désormais nous vendre sous la risible marque « Sud de France » (mais où, foutredieu, où, mortecouille, est passé le « la » que n’importe quel esprit même à l’état sauvage serait en droit de réclamer entre les mots « de » et « France », où, palsambleu, fichtre, diantre ?) – car notre région disais-je, si tendre à nos cœur généreux, souffre aujourd’hui le martyr, ployée sous les coups de boutoir de l’envahisseur nordiste qui croit encore que la misère serait plus belle au soleil, sans parler - hélas ! - de tous ces vieux imbéciles pas assez riche pour se payer une retraite dorée sur la cote d’azur et qui à titre de compensation croient qu’il est en leur plein droit de revendiquer une petite place sur notre beau littoral languedocien pour venir y poser leur détestable et populeux petit derrière. Ah !, je vous le concède, je m’emporte, je m’emporte, mais que voulez-vous … Et puisqu’il paraît encore que, selon le je ne saurais dire combien de millions de crétins des Alpes ou d’ailleurs qui se sont rués d’un seul homme pour aller s’abrutir devant ce soit disant film, nous sommes « bienvenue chez les chti », et bien qu’attendez vous tous, ai-je envie de leur envoyer savoir, qu’attendez vous pour vous y précipiter chez ces fameux « chti », ou encore tout simplement pour y rester, si jamais d’aventure vous en êtes natif ? Laissez nous donc en paix, je vous en prie, et allez vous en donc une bonne fois voir chez ces proverbial chti si j’y suis, car maintenant, laissez-moi vous le dire et le répéter, c’est marre !

Et quoi ? J’entends déjà que l’on me taxe de réactionnaire, d’ennemis du progrès, de vieux raleur, voire pire, de vieux facho ? Allons bon, ne venez donc pas geindre quand notre belle côte ne sera plus qu’un immense et abject lotissement entrecoupé d’autoroute où vous paierez à crédit et à un taux surréaliste le débris hideux qui vous servira de logement. Alors oui, dans de telles conditions, je m’emporte, oui je m’énerve mon bon Campredon, mais comprenez-moi : j’ai toujours été l’homme de la pondération, l’homme du calme et de la réflexion, l’homme en un mot du droit, c’est-à-dire - on m’aura compris - de la droiture, une droiture qui s’érige ferme et décidée face au chaos irrépressible de quelques nerfs mal contrôlé.
Mais aujourd’hui, certainement, la coupe est pleine, et en débordant elle a emporté dans son courant nombre de mes certitudes. Le spectre odieux de la déprime et du découragement parfois semble projeter son ombre sans fin.

C’est dur, croyez-moi, mon cher Campredon, c’est dur, très dur, et dans ces moments-là, je me dois d’admettre que vos pantalonnades inhabiles et parfaitement sottes tombent néanmoins à point nommé pour venir me réchauffer un cœur tristement flétrit par une époque qui le dépasse et l’assassine à petit feu.


Cordialement,

votre dévoué et reconnaissant Maître Augustin François Bernard Villavèche, qui vous adresse un salut fier et languedocien. »




Bien. Inutile de préciser, amènes lecteurs, que les propos tenus ci avant n’engagent que leur auteur, à savoir le sieur A. F. B. Villavèche, et sûrement pas la sémillante rédaction de votre blog préféré. D’autre part, il faut quand même remarquer également que si notre correspondant ne cite qu’un titre sur les deux livres que M. Campredon a publié récemment, il est cependant convenable de croire que notre ami a bel et bien lu les deux, car ne cite t’il pas à un moment donné le titre d’un texte inclus dans le recueil « L'attaque des dauphins tueurs » (en l’occurrence « La coulée de béton infernale »), ouvrage qu’il ne mentionne néanmoins à aucun moment dans sa missive pourtant longuette ? Sans doute pouvons-nous en déduire que, part delà l’obstiné mauvaise foi qui semble être celle de notre mystérieux et compassé correspondant, se cache bel et bien un réel intérêt pour l’œuvre de M. Campredon.

Pour notre part, nous aimerions aussi ajouter que le jeune Campredon est un nouveau talent comme qui dirait plein d’avenir, que ses nouvelles sont des petits bijoux d’invention d’irrévérence et d’ironie, et qu’en toute franchise dans nos contrées littéraires où l’on rie assez peu et où la fantaisie semble interdite d’antenne au nom d’un réalisme omniprésent, cela fait du bien. L’humour chez Julien Campredon n’est pas loin de l’intelligence de celui d’un Eric Chevillard, et quant à son invention, sa fantaisie, on n’en avait pas lu d’aussi réjouissante dans la langue de Molière depuis peut-être celle du regretté Raul Damonte dit Copi (dont il faudrait reparler sur ce blog un de ces jours …). La littérature française - si vous voulez mon avis, et si jamais vous n’en voulez pas, et bien tant pis je vous le donne quand même, car après tout c’est de mon blog qu’il s’agit - à dramatiquement besoin d’autres Campredons, d’autres Chevillards, bref a besoin d’humour et d’invention. Et aussi de plaisir, de jeu, c’est-à-dire d’intelligence et de lucidité. Ces indispensables ingrédients, Julien Campredon les a en main, espérons maintenant qu’il ne les lâche pas de sitôt, et qu’ainsi, aussi richement pourvus, il poursuive un chemin qui, alors, sera peut-être semé de quelques embûches littéraires des plus réjouissantes.

P.S. : Contrairement aux allégations douteuses du sieur Villavèche, les deux livres sont très beaux, et le design tout a fait élégant.