Alberto Laiseca - Aventures d'un romancier atonal


L'aventure du roman

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Alberto Laiseca - Aventures d'un romancier atonal [Traduction Antonio Werli, Attila 2013]






J'ai déjà parlé sur ce blog d'Alberto Laiseca, un écrivain qui parmi mes chers argentins est sans aucun doute l'un de mes préférés. Auteur à l'imagination exacerbée, à la culture encyclopédique, doté d'un sens du délire et de l'humour de très haut vol, son œuvre aussi pléthorique que remarquable n'était jusqu'ici pas disponible en français, ce que je ne manquais pas de regretter dans ma note sur son roman Su turno.

Or, il arrive que les choses bougent. Ces jours-ci (le 6 juin pour être précis) la première traduction française d'un roman du maître fait son apparition dans les librairies : Aventures d'un romancier atonal, traduit par Antonio Werli du Fric Frac Club, dans une édition élégante et originale à l'enseigne Attila.

Il s'agit du deuxième roman publié par Laiseca, en 1982. C'est aussi une très belle façon de découvrir son univers singulier, puisque le livre, construit en deux parties distinctes, raconte à la fois une épopée belliqueuse qui d'une certaine façon serait un peu comme une introduction (une mise en bouche, un résumé...) au grand œuvre laiséquien - les 1300 pages et des bananes de Los Sorias - et l'aventure même de l'écriture de ladite épopée, soit le "roman atonal" du titre, roman qui de bien des points de vues ressemble étrangement à ce pavé énorme qu'est Los sorias, un des chef d'œuvres de la littérature hispanophone du XXème siècle.

Aventures d'un romancier atonal est donc un livre qui en à peine 130 pages nous offre un condensé de l'ars poetica d'Alberto Laiseca, nous proposant aussi une espèce de "guide de lecture" de l'œuvre de l'écrivain moustachu, et ce à travers une "fictionalisation" des conditions d'écriture même - épiques - de ladite œuvre. Loin de l'exercice auto-référentiel, il s'agirait plutôt ici de se préparer à ce qui viendra après (car évidemment cette publication ne fera sens - à l'instar de ce que je disais il y a quelques temps à propos de la première traduction française d'un autre auteur qui m'est cher, l'uruguayen Mario Levrero - que si d'autres traductions suivent, ce qui j'espère sera le cas). Ce court texte est tout simplement une invitation à entrer de plein pied dans une "cosmovision" - pour reprendre une terminologie de l'auteur - des plus riches. Et qui dit "cosmovision" dit "inventeur d'univers", "créateur de mondes", bref sous entend qu'il s'agit là d'un écrivain qui a du souffle, qui demande donc au lecteur l'effort d'aller vers lui. Inutile de s'inquiéter pourtant, car l'effort consenti (point trop ardu à considérer l'aménité pour ne pas dire la générosité, certes délirante, de l'auteur) se voit bien vite récompensé. Au-delà de ses provocations stylistiques, de sa langue faussement incontrôlée, l'œuvre de Laiseca est un prodige d'humour, de fantaisie, ce qui ne l'empêche pas d'y aborder sans chichis la violence, le mal, le pouvoir, ses excès.

Une des grandes particularités de Laiseca, c'est son style. De ce point de vue, et pour avoir lu ces aventures en v.o. et en v.f., je dirais qu'Antonio Werli s'en est plutôt bien sorti, ce qui n'était pas gagné ; plus d'une fois la langue hirsute de notre homme - capable de passer d'un style soutenu fleurant bon le siècle d'or à l'apparent n'importe quoi (un n'importe quoi hilarant, faut-il le préciser) - semble être un implacable défi à notre rigide syntaxe. Pourtant, la version que nous en propose aujourd'hui les éditions Attila sait retrouver l'esprit, la folie du style Laiseca. Même si - bien évidemment - une traduction n'est jamais (ou alors très rarement) complètement satisfaisante et que d'une certaine façon l'imperfection est consubstantielle à l'art de la traduction littéraire, je dirais que cette première version francophone du maitre est des plus méritantes. J'espère qu'elle trouvera bon accueil auprès des lecteurs pour qu'on en reste pas là.

Je ne dirais pas beaucoup plus sur le livre pour l'instant, les éditions Attila ayant eu l'idée, pour soutenir la sortie du livre et faire connaitre l'univers incroyable d'Alberto Laiseca, de lui consacrer un blog, auquel votre serviteur à l'honneur de participer. Vous y trouverez au fil des jours des traductions de critiques sur les divers romans de l'auteur, des contributions originales, des interviews, une bibliographie exhaustive et autres friandises. Je vous invite d'ores et déjà à vous y rendre, en attendant que le livre fasse son apparition sur les stands des bonnes librairies (et peut-être même des mauvaises). C'est ici.

6 commentaires:

  1. A propos des années soixante dix en Argentine, je vous recommande un roman publié à La Contre Allée qui a été traduit il y a peu alors qu'il fut écrit en 1998 : "Un fil rouge" de Sara Rosenberg. Pas de promo, ni de presse mais c'est très bien. Roman politique et poétique. A LIRE absolument !

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  2. It's great to find more people reading Laiseca's novels and writing about them. I wonder if there is a translation of Los Sorias into French is in progress. This astonishing novel needs a wider readership. Even the number of Spanish language readers of this novel is ridiculously small as the total print run of the novel doesn't exceed 3,000 copies. I think every fan of Joyce, Pynchon and Carlos Fuentes will enjoy immensely this incredible book.

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    1. Well, It seems that the possibility of a french translation of Los Sorias is not impossible, but we'll have to wait and see. Laiseca's incredible body of work is one of those hiden gems that argentinian literature has got plenty of. Los Sorias seems to be the kind of book that has been more discused than read, sadly. Loosing myself in its pages was one of the great experiences I've had as a reader.

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    2. Yes, Argentine literature is very impressive. Are there any other authors similar to Laiseca that you would recommend?

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    3. Similar to Laiseca, I don't know, as Laiseca is really a world in itself, but writers who present the same kind of freedom, capacity of invention, sense of humor, encyclopedical culture and high literary value, a few comes to mind: Marcelo Cohen ("Donde yo no estaba", an 800 pages masterpiece); Daniel Guebel ("La perla del emperador"); Hector Libertella ("El arbol de Saussure"; "Diario de la rabia"); Osvaldo Lamborghini ("El fiord"; "Tadeys"); Pablo Katchadjian ("Que hacer"; "Gracias"). All of them, as far as I know, are not translated into english (and most, not in any other idiom).

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  3. Thanks a lot for these recommendations! I have heard about Cohen and Lamborghini, but the others are completely new to me. I'll try to check them out.

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